Durant l’époque impériale, selon son utilité, le meuble chinois appartenait généralement à une des quatres catégories suivantes: mobiliers de chambre à coucher, de salle d'étude (bibliothèque), du salon et, enfin, mobilier de salle (les salles d’état du gouvernement officiel, de temple, de jardin et de résidence). Cette dernière était encore divisée en salle de résidence royale, «Ting» désignait le terme ancien chinois pour « salle » qui englobait toutes celles citées ci-dessus.
Par la suite, une courte description du mobilier de salle chinois spécifique de l'ère impériale sera exposée suivie d’une présentation des aspects généraux caractérisant d’abord le mobilier de la dynastie des Ming (1368-1644) puis celui de la dynastie des Qing (1644-1911), tout deux analysés du point de vue de leurs compositions et de leurs styles respectifs, indépendamment de leur utilisation.
Avec le temps, la salle se répand de plus en plus. Aussi, les hauts fonctionnaires, les principaux lettrés ainsi que les artistes reconnus qui possèdent une demeure suffisamment vaste y incluent- ils une salle. La chambre ou « tang », désigne généralement ce type de salle. Cependant, le « ting » (salle) et le "tang" (chambre) servaient de pièce d’accueil pour les invités et étant presque exclusivement utilisés à cette fin, telle la salle de séjour américaine ou anglaise permet de recevoir des hôtes. En temps ordinaire, la famille dîne dans la cuisine.
Bien sûr, il existait un monde différent entre le «salon» d'un artiste ou d’un officiel (également de haut rang) et celui d'un empereur même si cela était plus une question de degré que de nature. En effet, des pièces identiques de mobilier (on est alors vraiment tenté de dire en cet instant « pièces de décoration ») pouvaient se retrouver dans les salles de l'empereur et de ses sujets. Néanmoins, le mobilier de l'empereur surpassait naturellement de loin celui de ses sujets (dans le cas inverse, les rumeurs auraient probablement mis en péril la vie de ce sujet).
Tout comme le "salon américain" et le "salon britannique" (une salle de réception similaire est commune à tous les pays européens), la salle ou la chambre de l'époque impériale chinoise constituait la pièce la plus raffinée de la maison et possédait les meubles les plus coûteux. A partir du moment où le jardin va se situer au centre des résidences royales ou des membres éminents de la société chinoise, la salle de séjour est construite de manière à avoir un point de vue sur son entrée.
De manière générale, ce que l'on appellerait aujourd'hui le « design intérieur » la salle de l’époque impériale chinoise suivait quelques principes de base. Au centre se dressaient quatre tables à thé (chacune avec un ensemble de 2 chaises soit 8 chaises au total). Sur deux côtés, des boiseries sculptées recouvraient les murs tandis qu’un simple panneau décoratif était suspendu sur le mur des deux autres côtés.
En outre, selon un ordre précis, se répartissaient, le long des murs, des tables de service, des porte-manteaux, des paravents (divisant la pièce) et des lits de style traditionnel chinois également appelés « arhat ».
La plupart du mobilier de la salle de l'époque impériale chinoise était confectionné en bois d’acajou bien que le bois de poirier et, plus tard ses substituts, comme le bois de santal rouge (Zitan: une forme de rosier) et le bois d’acacia (hongmu - parfois appelé wu mu) fussent également utilisés. Initialement très abondant, le bois de santal rouge se raréfie rapidement au milieu de la période de la dynastie des Qing. Actuellement très recherchés, les meubles Ming ou Qing atteignent des prix très élevés aux enchères internationales de ce type de bois.
Les références aux meubles de la dynastie des Ming et autres articles de décoration tels que les vases (signifiant invariablement des objets d'une rare beauté et d’un prix extrêmement élevés), étaient répandues au début du cinéma britannique et américain. On les retrouve encore parfois, à la télévision, notamment dans la série télévisée britannique, Lovejoy (1986-1994). Cette série relate l’histoire d'un marchand d'art peu scrupuleux mais adorable très habile pour produire des copies d’objets d'art, d’un talent incomparable pour détecter les travaux de contrefaçon.
Pour donner une idée de l'ampleur à laquelle le mobilier des époques des dynasties Ming et Qing est valorisé aujourd'hui, voici quelques exemples:
À Hongkong, un paravent pliable en bois d’acajou datant de la dynastie des Ming (les paravents réalisés en bois d’acajou sont délicatement conçus, très prisés, et atteignent les plus hauts prix) a récemment été vendu aux enchères au prix de 1,2 million de dollars HK (soit environ 155000 $US).
En outre, à peu près à la même période, un autre paravent en acajou de la période des Ming, mis aux enchères en dehors de la Chine, a été cédé au prix astronomique d’un peu plus de 2 millions de Yuan (environ 290000 $US). Plus récemment, une salle des ventes de la ville de Shanghai a attribué un ensemble quasi-complet de meubles de salon datant de la dynastie des Qing constitué de quatre tables à thé, de huit chaises et d’un fauteuil individuel.
Les meubles de la période de la dynastie des Ming sont simples, légèrement rustiques dans leur conception, mêlant robustesse et élégance simple. En revanche, les meubles de la période de la dynastie des Qing plus complexes et plus variés dans leur conception affichent des décorations délicates et luxueuxes, symbole de délicatesse et de sophistication. Avec le recul, la dynastie des Ming est considérée comme «l'âge d'or» de la production des meubles anciens chinois.
Ceci s’explique par la relative abondance des bois durs utilisés pour la confection des meubles pendant cette période. Parmi les bois durs, se distingue le bois de poirier de Chine (le poirier, genre Pyrus, cultivé en Chine depuis la dynastie des Zhou occidentaux (1027-771 avant JC.). Originaire des contreforts des monts Tianshan de l'Asie centrale sa culture se répand vers le nord, le sud et l'ouest, pour se développer aujourd’hui sur tous les continents.
Plus tardivement, apparaît son substitut, le bois de santal. Vers la fin de la dynastie des Ming, la demande croissante de mobilier appauvrit gravement les stocks de poiriers en Chine, également appréciés pour leurs fruits.
Cette période dorée du meuble chinois tient en partie au développement du tenon et de la mortaise de menuiserie (pensez à la façon dont deux pièces d'un puzzle s'emboîtent), qui dispense de clous, de vis et d’autres dispositifs d'assemblage en métal, mais également à une meilleure conception destinée à une utilisation plus pratique du mobilier. En d'autres termes, le mobilier de la période de la dynastie des Ming ne fut pas conçu de manière fantaisiste mais en associant «le design» au fonctionnel. Dans le même esprit, ces meubles délicatement assemblés, ni laqués, ni embellis de motifs sculptés mais délibérément conçus pour être simples et reposants, laissaient s’exprimer la couleur naturelle et le grain du bois.
Les articles de grandes surfaces tels que tables, chaises et commodes constituent les meubles typiques en poirier de Chine. Avec l'épuisement des stocks de bois de poirier, les menuisiers se tournent vers le bois de santal et le bois d’acacia, comme indiqué précédemment. Malheureusement, le diamètre des plus gros arbres de santal ne dépassant pas 25cm génèrent des pièces de mobilier plus petites. Le déclin de la production des meubles en bois de poirier se poursuit sous la dynastie des Qing avec un remplacement progressif par les bois durs alternatifs mentionnés supra. Entre-temps, la qualité du bois de santal varie tant par la diversité (il y en avait une douzaine, le bois de santal rouge étant le meilleur) que par le spécimen, ce qui était déjà le cas pour le bois de poirier.
Testant, ainsi l’ingéniosité des artisans-menuisiers, ces derniers répondirent au défi de façon créative en sélectionnant la meilleure qualité de bois, «apparence judicieuse», pour les parties les plus visibles et en utilisant des morceaux de moindre qualité pour le reste. La principale différence entre les meubles en bois de santal des époques Ming et Qing, (comme déjà évoqué précédemment), apparaît dans le fait que les meubles de la dynastie des Ming étaient de conception plus simple et fonctionnelle tandis que les meubles de la dynastie des Qing tendaient vers une conception plus élaborée, décorés d’ornements sophistiqués en oubliant peut-être parfois le côté pratique. Les meubles artisanaux les plus raffinés et les plus chers en bois de santal rouge fabriqués en Chine sont « les meubles en bois de santal appelés Jinxing ».
Toute analyse des traits qui caractérisent l'art de la fabrication de meubles durant cette période semblerait incomplète si elle n’intégrait pas les tendances artistiques de l’époque des Qing (à la lumière des réalisations exécutées dans ce domaine durant la dynastie précédente, des Ming).
En effet, en dépit des relations compliquées de la dynastie des Qing avec des gouvernements étrangers en général et au commerce extérieur dans les régions de la Chine en particulier, (à l’époque des Qing, dans le cadre de ce que la Chine appelle les «traités inégaux», les puissances étrangères obligèrent l’empire chinois à des concessions territoriales et à un commerce extérieur « humiliant »). Les influences occidentales sur l’artisanat des meubles chinois déjà commencées à l’époque des Ming n’évoluèrent que légèrement durant la dynastie des Qing.
Bien évidemment, d'autres tendances et réalités influencèrent l'artisanat des meubles chinois à l'époque des Qing totalement étranger au «côté pratique». Ceci s’explique par le fait que les dirigeants Qing étaient d'origine ethnique «Jurchen/Mandchous», contrairement aux dirigeants de la dynastie des Ming d'origine chinoise «Han». En outre, de nombreux types de bois précieux utilisés, à l'époque Ming, dans la confection des meubles, réputés dans le monde entier, étaient (soit ou presque) épuisés au milieu de la dynastie Qing, influençant profondément, à partir de ce moment, la fabrication du mobilier en Chine.
Les principales caractéristiques du mobilier de l’époque Qing sont détaillées ci-dessous.
Innovation
Nous pouvons être certains que les artisans de meubles chinois ont continué à perfectionner leurs techniques, indépendamment de la dynastie régnante en introduisant, parfois, des styles novateurs, durant la dynastie Qing en particulier. Certains de ces styles pouvaient sembler insolites. En témoigne un lit à l’allure d’un boudoir complet comprenant des porte-manteaux, des porte-chapeaux, des casiers à bouteilles, des pieds de lampe, même un crachoir, et d'autres «fonctionnalités» dont les utilisations initiales ne peuvent être déterminées aujourd'hui.
Tous ces objets supplémentaires à caractère fonctionnel, pouvant s’ajuster en hauteur, se balançaient vers l'intérieur ou l'extérieur du meuble, etc… (Ce lit ferait rougir de honte le fauteuil inclinable moderne américain, avec ses accoudoirs amovibles, ses porte- tasses, ses range- lunettes, son plateau-repas, etc….) ; Deux autres extravagances dans les meubles chinois de l’époque Qing, est à porter au crédit de l'artisan chinois, Li Yu (1610-1680). Il s’agit, d’une part, d’une «chaise chauffante», avec un bac sous le siège dans lequel on plaçait des braises chaudes et, d’autre part, d’un «lit refroidissant», muni d’un dispositif étanche à eau placé sous le matelas dans lequel, on pouvait verser de l’eau fraîche assurant, ainsi, une fraîcheur et un sommeil réparateur, même pendant les chaudes nuits d'été.
Durant la période des Qing, une autre raison a influencé l'artisanat de la fabrication des meubles. La croissance importante de la classe moyenne, avec une distribution toujours plus grande des richesses, augmente le besoin en mobilier. Elle génère également une demande pour de nouveaux types inédits de meubles, toujours plus sophistiqués, au fur et à mesure que la classe bourgeoise commence à s'affirmer. De nombreuses pièces de mobilier de cette période dont l’objet ou la fonction, reste encore un mystère de nos jours. Bien que cela ne porte pas atteinte à leur valeur, les meubles anciens ne sont, bien sûr, pas achetés pour leur valeur utilitaire.
Raréfaction des matières premières
Déjà en sérieux déclin depuis la fin de la dynastie précédente et comme mentionné précédemment, l’approvisionnement en bois d'acajou s‘épuise au milieu de l’ère des Qing. Le bois de santal rouge devient le principal substitut au précieux bois d’acajou. Bien que légèrement moins dur que le bois d’acajou, la plupart le considère encore plus beau, en raison de sa teinte rouge vif et de ses motifs de grain caractéristiques en forme de bandes. Cependant, le santal rouge restait un bois rare de sorte que son prix garantissait son utilisation uniquement dans la conception de meubles exclusifs destinés à une clientèle « haute gamme ». Le bois de poirier également sur le déclin se voit remplacé peu à peu par un certain nombre de bois de santal et d’acacia.
Ces réalités ont influencé le type de mobilier fabriqué, dans la mesure où la plupart des arbres était de faible diamètre. Toutefois, dans les endroits où les gros éléments étaient disponibles, les artisans de meubles de l’époque des Qing auraient fabriqué dans l'extrême, parfois même en « tirant » d'un seul bloc de bois une pièce unique de mobilier. D'autres exemples de démesure dans l'artisanat de la fabrication de meubles pendant cette période concernait l’exigence dans le choix d’une pièce de bois individuelle rejetée au moindre défaut.
Il existait aussi un interdit tacite dans l’utilisation de plusieurs types de bois. En effet, un meuble donné ne devait être confectionné qu’à partir d’un seul type de bois. Ceci a naturellement entraîné une grande quantité de déchets de matières premières d’excellente qualité pendant que les stocks de bois s’épuisaient, faisant fortement grimper les prix. Malgré tout, on n’a constaté aucun manque de clientèle souhaitant acquérir ces meubles artisanaux des plus exquis. Avec le recul, l’expression « le meilleur est tout juste assez bon » au regard du caractère pointilleux de la sélection des matières premières constitue l'un des principaux facteurs qui ont fait du meuble de l’époque des Qing une oeuvre d’art durable et prisée dans le monde entier, jusqu’à ce jour.
Embellissements
Les artisans de mobilier de l’époque des Qing laissèrent libre cours à leur imagination, tant dans la conception délicate (en comparaison, la conception plus simple et rustique des meubles de l’époque des Ming) que dans l'utilisation sans limites de couleurs, d’incrustations et de gravures. Les décorations dévalorisées pendant la dynastie des Ming, ont été délibérément adoptées durant la dynastie des Qing. En général, dans presque chaque catégorie de la conception à l'embellissement, l’artisanat de mobilier de l’époque des Qing a finalement pris une nouvelle direction audacieuse.
A cette époque, une grande partie du bois disponible provenant d’arbres de faible diamètre, les meubles de l’époque des Qing tendaient à être de plus petites dimensions. Ainsi, la gamme de mobilier semblait- elle sans limites, parfois même un peu trop, et comportait quelques pièces que l’on pourrait vulgairement désigner aujourd'hui comme « bric-à-brac ».
Combinaison des influences chinoise et occidentale
Comme évoqué ci-dessus, même si la dynastie des Qing a finalement interdit l'exportation de mobilier chinois, il n’ne demeure pas moins que les artisans ont persisté à s’imprégner des traditions occidentales. Pour une fois, le génie artistique est sorti de la lampe et ne pense pas y retourner. Des meubles fabriqués en occident font leur apparition en Chine avec l'arrivée des diplomates et des marchands étrangers. Par la suite de riches commercants ainsi que de hauts fonctionnaires et des lettrés chinois développent un penchant pour le mobilier chinois qui intègre des éléments occidentaux.
Dans un sens, ce nouveau courant occidental dans l'artisanat du mobilier chinois faisait partie intégrante de la quête sans fin dans le renouvellement des artisans. Il n’était qualitativement pas si différent de la transition des styles de l’époque des Ming à ceux de la dynastie des Qing. Celle-ci ne fut pas brusque, mais progressive, et une grande partie des styles Ming a été préservée dans la fabrication des meubles du début de la dynastie des Qing.
Une fois commencée, cette influence occidentale est également encouragée par le consommateur chinois de l'époque qui considère ce type de mobilier à la «mode». Toutefois, l’insertion des techniques et des fonctionnalités occidentales dans la fabrication du mobilier sous la dynastie des Qing ne change en rien sa forme esthétique chinoise malgré l’ajout de plus en plus nombreux d’éléments occidentaux (en particulier dans le domaine de l’ornement).
De nos jours, les meubles de l'époque impériale chinoise fabriqués en bois de santal rouge se vendent à des prix incroyablement élevés; pour exemple, une table de bois de santal rouge du 18ème siècle attribuée aux enchères en 1994 par la société «Sotheby» pour la somme princière de 35 millions de dollars américains, ou 239 millions d’yuans.